Retraite : une confiance brisée qui propulse les Français vers l’épargne individuelle
Alors que la réforme des retraites vient d’être suspendue à l’Assemblée nationale, une enquête Poll&Roll pour Goodvest dresse un tableau inquiétant : sept Français sur dix ne croient plus que l’État garantira une pension décente. Face à cette défiance record, l’épargne individuelle – du PER à l’assurance vie – devient un refuge. Et la capitalisation, longtemps taboue, s’impose désormais comme une piste sérieusement envisagée par une majorité.
L’étude révèle une rupture profonde dans la manière dont les Français perçoivent leur futur financier. Dans un climat de réformes successives, souvent mal comprises et encore moins acceptées, 44 % des répondants déclarent épargner avant tout pour se protéger des incertitudes économiques, et non pour financer des projets.
Pour 21 %, la hausse des prix et les tensions politiques incitent même à augmenter leur épargne de précaution. Mais la situation reste très inégale : 30 % des sondés disent épargner moins qu’avant, voire plus du tout, sous la pression de l’inflation. Plus inquiétant encore, 15 % des Français ne détiennent aucun produit d’épargne, une proportion qui met en lumière l’existence d’un fossé patrimonial durable.
Cette anxiété diffuse se traduit dans les critères jugés les plus importants au moment de choisir un placement. La sécurité arrive largement en tête (45 %), suivie de près par la liquidité (39 %), tandis que la performance passe au second plan. Ce choix explique l’attrait persistant pour des produits simples, accessibles et perçus comme fiables. 61 % des Français plébiscitent ainsi le Livret A ou le LDDS comme support principal de leur épargne, malgré leur rendement modeste. Ces placements incarnent une certitude psychologique dans un moment où les repères financiers se brouillent.
La volatilité des marchés, les débats politiques incessants et la crainte d’un décrochage du système redistributif renforcent ce repli vers des produits défensifs. Les classes moyennes, déjà fragilisées par la perte de pouvoir d’achat, cherchent avant tout à préserver leur capital. À mesure que le contrat social autour de la retraite se fissure, les ménages semblent moins disposés à prendre des risques et revoient leur stratégie patrimoniale sous un angle résolument protecteur.
Capitalisation : d’une idée marginale à une option majoritaire
La défiance envers le système public atteint aujourd’hui un niveau historique. Selon l’enquête, 70 % des Français ne font plus confiance à l’État pour garantir un niveau de retraite décent. Ce chiffre, inimaginable il y a encore dix ans, témoigne d’un basculement culturel profond. Les réformes successives, la communication brouillée et la perspective d’un vieillissement accéléré de la population alimentent ce sentiment d’incertitude.
Dans ce contexte, l’idée d’un système par capitalisation, longtemps associée à un modèle anglo-saxon ou aux débats idéologiques, gagne du terrain. 58 % des répondants déclarent en avoir déjà entendu parler, et 73 % y sont désormais favorables. La dynamique est particulièrement forte chez les actifs et les indépendants, pour qui la capitalisation représente une forme d’autonomie financière face à un système jugé imprévisible.
Les chiffres montrent que ce mouvement n’est pas qu’une opinion théorique. Le PER (Plan Épargne Retraite) apparaît comme un refuge pour 29 % des sondés, loin devant l’assurance vie (16 %) et l’immobilier locatif (13 %). Pour beaucoup, le PER répond au besoin d’un cadre fiscal stable, d’une logique d’épargne régulière et d’une visibilité sur la retraite future. L’assurance vie conserve son attrait historique, mais son rôle glisse progressivement vers la constitution de capital plutôt que vers la préparation directe de la retraite.
Comme le rappelle Joseph Choueifaty, PDG et cofondateur de Goodvest, la capitalisation concerne déjà 11 millions de Français à titre individuel. Elle contribue, selon lui, à financer l’économie réelle et la transition écologique, tout en offrant une alternative complémentaire au système redistributif. En pleine suspension de la réforme, ces données posent une question centrale : la France est-elle prête à assumer un modèle mixte, où une partie croissante de la retraite dépendrait de l’investissement et de l’épargne personnelle ?
Cette perspective, encore controversée, trouve pourtant un écho de plus en plus fort dans une société qui doute de la capacité de l’État à tenir ses promesses. La transformation culturelle est en cours : la retraite n’est plus un horizon garanti, mais un projet que chacun doit désormais anticiper individuellement.

